S’engager autrement

Nov 24, 2022

J’ai toujours été très sensible aux nombreuses personnes qui s’engagent quotidiennement pour des causes qui les touchent. Tout cet univers des associations, et notamment du monde militant sans qui ma vie n’aurait rien à voir avec celle d’aujourd’hui.

Comme m’a dit mon grand-père : « sans nous, tu n’aurais pas de congés payés, en as-tu conscience ? » Non, pas vraiment avant qu’il me dise ça. De même que les combats féministes ont permis de réaliser les formidables avancées qui sont survenues durant à peine un siècle sur la vie des femmes. Même si en tant que militant-es vous ressentez certainement au plus profond de vous que ce n’est pas encore assez : je tiens vraiment, et sincèrement à vous remercier.

Je tiens aussi à remercier les militant-es qui de tout temps se sont engagé-es car je mesure par quels sacrifices ces combats ont souvent commencés.

Pourtant, malgré ce profond respect que je ressens, et la sensibilité que j’ai pour beaucoup des causes défendues, je ne me suis personnellement jamais engagée… en rejoignant une structure en tous cas.

En écrivant ces lignes, je me rends compte que dans mon entreprise, j’ai pris ce chemin pendant quelques années : en défendant à tous prix un nouveau modèle d’entreprise, respectueuse des personnes qui créent la valeur sur le terrain, et respectueuse de la Vie en général. J’ai dépensé beaucoup d’énergie et j’ai créé beaucoup d’inconfort autour de moi. Je sais qu’au final cela a permis de donner une autre vision, d’ouvrir des portes, grâce à d’autres personnes également engagées.

« On ne change pas les choses en s’opposant à ce qui existe déjà.

Pour que les choses changent, il faut construire un nouveau modèle qui rende l’ancien obsolète. »

Richard Buckminster Fuller

Avec le recul, je me rends compte que dès le départ j’étais tournée vers le fait de créer autre chose. Ce qui a changé depuis c’est le « comment » je le fais.

Au début de mon aventure de colibri ce sentiment d’urgence poussait à l’intérieur et voulait me faire aller vite. Or lorsqu’une personne découvre de nouveaux possibles, et découvre qu’elle pourrait s’engager dessus, la plupart d’entre elles ont besoin de temps pour s’approprier cela et se mettre en mouvement à leur façon. Or en étant tellement accrochée à l’importance d’avoir de l’impact, de façon assez paradoxale, je me rends compte que j’ai pu créer des résistances des personnes autour de moi.

Ce sont ces mots, qui m’ont fait vraiment bouger : « Prisca, tu veux absolument que le monde soit différent autour de toi, mais la façon dont tu fonctionnes et dont tu agis est justement issue de cette société que tu n’aimes pas »

Mon égo s’est pris une bonne claque et c’est là que j’ai compris que j’avais besoin de vivre les choses autrement.

Depuis, j’ai compris que ma passion des dynamiques humaines pouvait rejoindre ce besoin de faire ma part.

Je fais vivre d’autres façons d’avancer et de partager : des formes intermédiaires permettant un joli « ET » entre l’action, et la richesse humaine ; de nouvelles routes pour les individus, porteurs de projets et collectifs.

Dans tous les endroits où je ne peux qu’en parler, je suis moins à l’aise : car je sais que c’est le fait de le vivre qui permet vraiment d’en ressentir la puissance.  Et c’est un peu ce qui se passe ici aussi car je ne peux que vous en parler. Et en même temps j’ai conscience que c’est un premier pas.

Que se passerait-il si l’énergie de tous les militants et acteurs du monde entier expérimentaient de nouvelles postures pour tourner leurs actions vers la naissance du monde de demain dans tous les domaines ?

Pour le rapport entre les hommes et les femmes, en créant des espaces qui incarnent la vision que l’on veut pour demain ? Avec des moyens de le rendre visible pour le plus grand nombre, de mettre en avant ce que ça apporte aux femmes ET aux hommes.

Sur les enjeux sociaux, si plutôt que de condamner les personnes puissantes qui ont des millions ou des milliards sur leur compte en banque ou ailleurs, nous imaginions une manière concrète de créer un nouvel équilibre avec cet argent : en commençant avec un milliardaire, et juste un de ses millions. En créant un prototype d’initiative positive, pour qu’il puisse ressentir et vibrer ce que ça fait d’être puissant autrement en donnant un vrai sens à son argent. Et une fois encore partager et communiquer sur cette expérience (cher milliardaire, si tu me lis et que tu es prêt à vivre une expérience authentique, fais-moi signe).

Sur un sujet qui me touche particulièrement comme le racisme, et l’enjeu d’accueil d’immigré qui n’ont pas eu la chance de naître dans un pays avec le climat et le niveau de vie de la France : et si, plutôt que de condamner les personnes fermées à la différence, nous osions cocréer une initiative en partant aussi des besoins des personnes qui choisissent de voter pour l’extrême droite. Je suis peut-être partie un peu loin avec cet exemple alors je me dis, juste pour moi, que la prochaine fois que je croiserai une personne vraiment obtue sur le sujet, plutôt que de me raidir et de me fermer, je lui poserai la question : de quoi as-tu besoin pour être rassuré dans une France multi-culturelle ? Qu’est-ce qui est vraiment important pour toi ? As-tu eu l’occasion de rencontrer vraiment l’une de ces personnes que tu condamnes et que je trouve merveilleuse ?

Je sais que certaines associations sont déjà sur ce chemin, en permettant à des personnes aux points de vue très différents de se parler de façon constructive.

J’ai écrit ces lignes pour vous projeter dans ce monde du « ET ». Si le mot utopie vous vient à la bouche sachez que ce mot me relie à cette phrase : « une utopie n’est pas une chose pas réaliste, c’est une chose pas réalisée ».

Un président noir aurait été vu comme une incroyable utopie il n’y a pas si longtemps : à tel point que l’on n’en aurait peut-être même pas eu l’idée.

Si j’écris ces lignes c’est aussi parce que je ressens que nous n’avons plus ce luxe du combat qui divise et qui use tellement d’énergie. Je ressens que c’est la construction de nouveaux possibles à partir de perceptions au départ différentes qui créeront les plus incroyables futurs et qui permettront à chacun de se sentir respecté-e.

C’est vrai que cela nécessite de nouveaux réflexes, et notamment de laisser tomber notre bonne vielle argumentation du pour et du contre. Et nous sommes tellement forts à cet exercice que deux personnes qui sont d’accords à 99% peuvent passer 1h sur le % qui reste.

Les expériences d’intelligences collectives nous montrent que c’est possible, et plus rapidement que l’on le croit en ajoutant de nouvelles habitudes : par exemple ce simple reflexe de faire tourner la parole, en se mettant au service d’une intention commune, permet de sortir de la discussion classique qui ne laisse la place qu’aux plus bavards.

Alors, qui est partant pour vivre son engagement autrement et vivre ainsi, dès aujourd’hui, le monde de demain ?