Vivre mes différences : épisode 14 – Vivre mes pieds larges

Déc 2, 2022

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Vivre mes pieds larges

Oui c’est une différence que j’ai : j’ai des pieds de canard, qui font que j’ai enfin compris à 45 ans que les chaussures qui me vont en largeur, sont des chaussures prévues pour les hommes.

Et il y a juste un petit problème c’est que je chausse du 39 et que les modèles hommes commencent au 40 ou 41 le plus souvent.

Bref, c’est une galère de me chausser depuis toujours.

Pourquoi je choisis de vous parler de ça ? Et bien parce que c’est une petite différence de rien du tout, mais dont les conclusions, appliquées à toute nos différences, peuvent être porteuses d’une autre façon de vivre. Si, si : carrément !

Le plus lointain souvenir de mes pieds larges, ce sont les boutiques que j’ai faites avec une amie alors que j’étais encore au collège. Elle me montrait plein de chaussures et me disait : « essaie celle -là » , « mais non elles vont être vraiment trop fines pour moi » « mais si essaie »

Je ne sais pas si vous voyez l’essai de la pantoufle de verre par l’horrible fausse soeur dans Cendrillon : et bien lorsque je l’ai essayé, ça  a donné à peu près le même résultat, mais en largeur.

J’avais un orteil en trop 😉

Bref mon pied était ratatiné dans les modèles classiques et je me retrouvais à choisir mes chaussures par défaut, en cherchant avant tout une chaussure dans laquelle je pouvais rentrer.

Tout ceci parle aussi de cette norme qui a choisi que les femmes auraient des pieds fins, parce qu’on les veut en talons hauts, parce que ça fait classe et que ce sont les codes que la société valorise.

A la rigueur, à partir de 70 ans je veux bien que tu ais les pieds larges, donc tu peux aller te chausser chez Mephisto si tu veux. Et bien moi je ne souhaite pas me chausser chez Mephisto même si je n’ai rien contre eux, et je ne souhaite pas non plus être ratatinée dans mes chaussures.

Face à cette situation, je suis passée par plein de choix différents au cours de ma vie. Et notamment par le fait de chercher des modèles à talons, car je les trouvais classes les femmes qui mettaient des talons au bureau. Et puis dès que je mettais des talons, même pas très hauts, je sentais cette posture qui me faisait me sentir femme, un peu comme si d’un coup ça boostait mon égo. Je suis même allée un jour jusqu’à mettre un tailleur assez classe (pantalon tout de même) avec des talons assez hauts. Ça faisait très working girl. C’est ce que l’on m’a renvoyé et qui m’a fait réaliser que ce n’était pas moi du tout et que j’allais arrêter ce style immédiatement.

Du coup les talons hauts sont restés cantonnées à des expériences comme les mariages. Et autant la belle robe c’était une super idée car j’ai aimé la porter pour l’occasion. Autant, cette volonté de porter absolument des talons n’était vraiment pas une bonne idée : cela m’a empêché de danser jusqu’au bout de la nuit au mariage de deux amis qui me sont très très chers. A tel point que j’étais leur témoin d’ailleurs 😉. Voici ce qui s’est passé :

J’ai voulu faire la belle pendant tout le début de soirée en tenant au max avec mes « belles chaussures à talons ». Au moment où j’avais tellement mal que j’ai décidé de les enlever, je ressentais une tension terrible sur la voute plantaire lorsque je posais mon pied à plat.

Et ça m’a empêché de danser.

Voici le type de sacrifice que je me suis retrouvée à faire pour des raisons esthétiques ! Et quand je vois le peu d’importance que ce thème a dans ma vie, je n’imagine même pas ce que ça peut donner pour les autres.

C’est quoi cette histoire avec l’esthétique. Pourquoi ce serait le truc le plus important du monde ?

Pourquoi avec une esthétique qui correspond à la norme on est tout de suite valorisé et encensé et que si ce n’est pas le cas c’est presque comme si d’un coup on avait plus la même valeur ! Mais ça sort d’où ce truc ?

A quel moment on a créé ça comme dictat dans la société ? Et selon quels critères ?

Alors voilà : pour une question d’esthétique je me suis gâchée le moment de danse du mariage de mes supers amis. Et j’aime vraiment danser et les mariés aussi. 

La vie a voulu que dans la deuxième partie de ma vie, j’ai un mari qui fasse à peu près ma taille.

Du coup je ne voyais pas trop l’intérêt de mettre des talons, même si certaines femmes très grandes le fond et que je trouve ça parfait si c’est leur choix. Je crois surtout que ça m’a donné un super prétexte pour reléguer les chaussures à talon au placard et ne plus jamais en porter.

Et en fait, je me suis rendu compte que je rêvais de ça depuis toujours. J’aime les boots, j’aime avoir les deux pieds à plat. J’aime être libre de faire de longs trajets à pied dès que j’en ressens l’envie. J’aime aussi beaucoup le contraste d’une tenue féminine avec des grosses chaussures, comme une robe avec des boots ou des baskets. Quand je m’habille comme ça je suis vraiment, 100% moi !

La question que je me pose c’est pourquoi il a fallu que je « presque loupe » le mariage de mes meilleurs amis, puis que mon mari soit pile à ma taille pour que je réalise ça ?

Pourquoi n’aurais-je pas pu me demander depuis le début : « c’est quoi les chaussures qui t’éclatent ? »

Ah oui, si, je sais, évidemment : parce que ça ne correspondait pas à la façon dont il « fallait » s’habiller en entreprise, ou dans les mariages ! Parce que cette esthétique occupe tant de place : à tel point que l’image qu’on a de vous devient parfois plus importante que ce que vous êtes ou vous faites vraiment !

Je me souviens encore le conseil d’une collègue qui me disait à quel point c’était essentiel d’avoir des chaussures parfaitement cirées pour l’évolution de ma carrière ! Et bien moi j’ai ressenti à quel point je me fichais et du cirage de mes chaussures, et de mon évolution ! Car si c’est pour la couleur de mes chaussures que j’évolue, franchement ça ne m’intéresse pas du tout !

Cette auto-dictature des chaussures au travail, n’était donc pas pour mon évolution mais au nom de « ce qui se fait ».

Il a fallu que je dégomme ça aussi pour que je puisse mettre les chaussures de mes rêves : des boots ou des baskets colorées !

J’ai accessoirement aussi quitté le monde des grandes entreprises, et quand j’y refais un pas je veille à porter mes boots ou mes baskets colorées !

Aujourd’hui je dis merci à mes pieds 😊 J’ose explorer le rayon homme et parfois je croise un 39. Je cherche des marques qui sont à mon image et lorsqu’elles respectent la planète c’est le top. J’accueille la seconde main : petit clin d’œil aux baskets corail qu’une amie m’a données et qui venaient de sa maman ! Belle optimisation pour la planète non ?

Et vraiment je sens que ces deux pieds à plat au sol me font un bien fou !

Vous me voyez venir avec mes gros sabots ? C’est le cas de le dire…

La largeur de mes pieds je ne pouvais pas la changer, alors plutôt que d’essayer de les faire rentrer dans un truc qui n’était pas moi, j’aurais bien aimé me demander depuis le début : qu’est ce que cela veut dire de moi ?

En quoi cela peut me permettre d’être pleinement moi et de dire merci à mes pieds parce que je lorsque je mets ces grosses boots, je me sens vraiment moi.

Ce en quoi je crois c’est que la Vie nous a créés tels qu’elle nous a créé, dans une sorte d’ensemble cohérent que nous ne voyons pas toujours. Nous pouvons choisir de considérer que nous sommes parfaits comme cela, à partir du moment ou l’on sort de la dictature de l’esthétique de la société dans laquelle nous vivons.

Il y a d’autres dictatures sociales à dégommer : comme la rapidité, la posture de fonceur et j’en passe. Mais ce sont d’autres sujets.

Parfois c’est un accident de la vie qui a porté atteinte à votre esthétique, et du coup vous pouvez bien entendu vous dire que cela n’a rien à voir avec qui vous êtes.

Or je vois à quel point ceux qui ont ce courage incroyable de l’accepter tout de même continuent à avancer et accèdent à des niveaux de profondeurs qu’ils n’auraient peut-être jamais connus s’ils n’étaient pas passés par là ; s’ils avaient eu la possibilité de se fondre dans la masse ou d’être reconnus juste pour leur esthétique.

Le témoignage de Nadalette Lafonta qui a vécu les deux en une seule vie en est une très belle preuve.

Et lorsque je prononce ces mots, cela me relie à une personne que j’ai rencontrée il y a peu, qui s’appelle Marie et qui a vécu très jeune un accident de la Vie.

Alors oui je ressens, même jusqu’à ce degré de difficultés là, à quel point il est précieux de s’accepter entièrement et profondément tel que l’on est aujourd’hui, en avançant du mieux que l’on peut chaque jour avec tout ce que l’on a de facile, et de moins facile à vivre dans notre besace. Même si j’ai pleinement conscience du fait que ce n’est pas toujours facile.

J’ai prononcé ces mots en me reliant aux personnes qui vivent des enjeux esthétiques bien plus grands que d’avoir des pieds larges. Et en réalité je ressens à cette minute à quel point les personnes dites « jolies » sont peut-être les plus prisonnières de cette dictature de l’esthétique : une course perdue d’avance, puisque quoi qu’il arrive, en avançant en âge, la vie à fait en sorte de nous inviter à sa façon, à tous découvrir que nous sommes bien plus qu’un tableau agréable à regarder.

Alors ? Etes-vous prêts à vivre votre vraie beauté, qui n’a à mes yeux, absolument rien à voir avec votre esthétique ?