Si vous préférez écouter l’épisode : c’est par ici !
C’est la première fois que je crée un épisode sur une différence que je n’ai pas. Cette différence elle te concerne toi, Ben, mon ami depuis plus de 20 ans.
Une amitié en pointillée : pas dans le cœur. Mais dans le temps que je t’ai accordé. Car la première partie de ma vie était plutôt festive, et allant vers ce qui se présente à moi de joyeux, avec des personnes que j’aime bien sûr, mais sans prendre le temps de me demander ce qui est vraiment important pour moi à vivre.
Depuis que j’ai pris le temps de faire ça, il y a un peu plus de 2 ans, tu as fait partie des personnes pour qui il était important pour moi d’accorder du temps.
Si tu veux bien, je vais te présenter, des fois qu’il n’y ait pas que toi qui écoute cet épisode un jour.
Si je ne me trompe pas tu as déjà eu tes 40 ans, on a 5 ou 6 ans d’écart… en fait je ne sais pas. Je ne suis pas très douée en âge car pour moi ça n’a pas de réelle importance.
Tu es passionné d’histoire (ce n’est pas ça qui nous a rapproché), tu es très curieux et tu as un humour improbable.Tu as besoin d’un fauteuil pour te déplacer car tu as un handicap de naissance qui t’empêche de te servir de tes jambes et qui limite l’usage de tes bras : même si je trouve que tu te débrouilles vraiment bien pour faire un max de chose par toi-même ! Pour ce qui est de ta tête, il est absolument clair qu’elle ne souffre d’aucun handicap. Elle fuse pas mal, avec une mémoire incroyable et beaucoup de répondant. J’aime aussi ton sourire spontané qui te mange le visage. Séduite en tant qu’amie : qu’il n’y ait pas de mal entendu. Et oui, je crois aux coups de foudre en amitié, et tu en fais partie.
Aurais-je fait un portrait de toi un peu idéalisé ? Peut-être. Si je cherche un peu, je pourrais ajouter que tu es bien français ! Un vrai gourmand d’une part, et aussi plutôt… râleur ! C’est bien français ça non ?
Tu es de nature prudente : une prudence qui peut parfois fleurter avec la peur : mais ça dépend de ton état d’esprit.
Allez, ça suffit comme ça. Tu serais capable de me dire dans toute ta délicatesse : eh dis donc tu ne vas pas décrire la couleur de mon slip non plus !
Revenons à notre amitié : pendant cette période de recul et de construction de cette nouvelle aventure professionnelle, j’ai pris le temps de te voir à peu près une demi-journée par mois. Un moment de 4 ou 5 heures qui filait à toute vitesse, que ce soit en train de manger ou en train de se promener, c’était fluide et simple et on sentait tous les deux qu’on aurait pu rester 3 ou 4 heures de plus ensemble, et cela aurait été tout aussi fluide (Je n’aime pas parler de ces moments au passé : on va s’en prévoir de nouveaux des déjeuners sympas !)
C’est ce qui me fait dire que peut-être que comme moi tu as quelques rayures qui trainent mais c’est un autre sujet, si ça te parle les zèbres.
Nous avons d’ailleurs vécu plusieurs ateliers ensemble « vivre mon improbable zébritude ». Alors que chaque participant était touché par cette rencontre avec toi, j’ai ressenti que c’était un challenge pour toi, de te vivre pleinement, sans te comparer aux personnes autour.
Vivre ton handicap : quand je t’ai rencontré il y a plus de 20 ans, et que j’ai passé un moment avec toi, en ressentant cette joie de vivre, ya un truc qui s’est déclenché en moi et je me suis dit : bon Prisca on est d’accord, toi dans ta vie, tout est simple, tout est tranquille par rapport à la complexité de ce que vit Ben. Comme si je devenais conscience de ma chance, en te voyant toi, Ben, accueillir la vie avec ton grand sourire ! Je me suis dit que pour moi c’était possible aussi !
Tu le ne sais peut-être pas Ben, mais tu m’as fait ce cadeau il y a plus de 20 ans. Je te voyais comme une leçon de vie à toi tout seul.
Tu as remarqué que je parlais au passé ? Ça ne change rien au regard que j’ai sur toi, simplement je sens qu’au fur et à mesure des années, ce handicap est un peu plus lourd à porter pour toi. Et ça ca me touche.
Alors quand je suis avec toi, je ne sais pas ce que tu te dis à ce sujet. Je n’ai aucun doute sur le fait que tu apprécies autant que moi les moments que nous partageons.
Mais peut-être que tu te dis que je manque d’empathie, de compréhension pour ce que tu vis… alors j’ai besoin de te dire vraiment ce que je ressens au sujet de ton handicap.
Alors bien sûr que je suis sensible au fait que la vie que tu as toi n’a rien à voir avec la mienne. Oui il faut que tu anticipes, que tu calcules, que tu te demandes si tu peux faire tel trajet, ou rentrer dans tel resto, et je sens que parfois tu es usé par tout cela ; surtout quand en plus se mettent sur ta route des embuches, comme une rampe de bus qui devait te permettre de rentrer dans le bus, et qui est cassée ; que tu dois attendre, en te sentant totalement impuissant, pour changer cette situation qui te pèse.
Quand je suis en train de discuter avec toi, peut-être que je te donne parfois l’impression de ne pas me rendre compte ou de ne rien en avoir à cirer (bon peut-être pas quand même) Alors j’aimerais te dire ce qui se passe en moi.
Au plus profond de moi, je sais que ton handicap, je ne peux rien y changer, et toi non plus d’ailleurs. La seule chose à laquelle je peux contribuer à tes côtés, c’est la manière dont tu le vis. Par exemple, oser explorer ensemble les endroits où il y a des choses que tu peux vivre malgré ce handicap.
Au moment où j’enregistre cet audio, je reviens d’un week-end que nous avons passé ensemble. C’est vrai que tout au début il y avait une part de moi qui aimait vivre cette amitié à équivalence. Deux amis qui se donnent rendez-vous et qui passent un bon moment ensemble, comme je peux le faire avec d’autres amis. Alors pendant longtemps, je n’ai jamais abordé le sujet de notre amitié et de la façon dont toi tu voulais la vivre. Et surtout, de te poser la question de ce qu’il faut faire concrètement pour passer le « permis Ben » et pouvoir t’emmener avec nous en étant autonomes ensemble. Ce que j’appelle un permis Ben, c’est toute cette aide dont tu as besoin pour accomplir des gestes simples du quotidien. Je les connaissais pour manger avec toi au resto, mais je ne connaissais pas tout le reste, notamment les gestes plus intimes aux toilettes ou sous la douche.
Alors quand tu as partagé avec moi que tu avais très peu l’occasion de partir en vacances avec des amis, ça m’a donné envie de faire un pas de plus pour vivre de nouvelles aventures ensemble. Et c’est ce que nous avons fait ce week-end.
En revenant de Lille tu nous as demandé si c’était plus facile ou plus dur qu’on imaginait. Heureusement que mon mari s’était remis au sport, car ça demande une vraie force physique. Pour ce qui est de l’intime, je m’attendais à être gênée et je me disais que ce n’était pas grave. Et ce n’a pas du tout était le cas : c’était comme une évidence de vivre ensemble ces gestes que tu ne peux pas faire tout seul. Alors pour moi je dirais que c’était plus facile que je le pensais.
En fait je réalise que j’avais déjà eu cet élan tout au début où nous nous sommes rencontrés de passer plus de temps avec toi … alors, fidèle à ma spontanéité de l’époque (qui ne m’a pas tout à fait quittée), je suis passée te prendre en voiture avec mon compagnon de l’époque. Et disons que nous nous y sommes pris comme des manches ! Heureusement que ton humour décapant nous a permis de vivre ce moment avec légèreté. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai mis plus de 20 ans à me relancer … Ah cette société qui nous vend de la facilité et de la rapidité à toutes les sauces peut nous faire passer à côté de l’essentiel. Peut-être que j’avais un peu honte aussi, d’avoir si peu anticipé ce dont tu avais besoin.
En tous cas cette fois je savais que je ne pouvais pas y arriver toute seule… qu’il y avait besoin de muscle (ou de technique) et nous nous y sommes beaucoup mieux préparés : car oui, ta vie ne ressemble pas à la nôtre et c’est à nous de te rejoindre d’abord dans ton univers, pour ensuite d’embarquer dans de nouvelles aventures à nos côtés.
Alors disons que même si je ne l’ai pas choisi pour ça, c’est un joli cadeau que Fabrice, mon mari soit plutôt costaud : et grâce à toi, il est motivé pour préserver ses muscles avec du sport régulier.
Quand il t’a rencontré il a tout de suite été séduit par ta personnalité : ton humour, ta gentillesse, toutes tes richesses. Alors ça a été une évidence pour lui de dire oui, lorsque je lui ai proposé de partir tous ensemble en week-end. Il y avait un autre petit zèbre dans l’aventure : mr Ludo qui te connaissait à peine.
Et nous venons de vivre ça, en t’écoutant sur tes conseils ET en se laissant porter pour créer le programme pas à pas. Tes conseils étaient précieux pour savoir ce dont tu as besoin, et comment faire ses gestes tout en se préservant, et en te préservant. Tout à coup, les rôles s’inversent et c’est nous qui avons besoin de toi pour bien faire, pour laisser la place à cette belle coopération !
C’est plutôt à nous que tu penses qu’à toi dans tes conseils … avec cette peur continuelle que ce soit une contrainte pour nous.
Le nombre de fois où je t’ai entendu t’excuser … Nous t’avons d’ailleurs donné un petit challenge : (même si nous n’avons pas récupéré les sous à l’arrivée). La pénalité était de 1 euros à chaque fois que tu t’excusais lorsque que nous mettions un tout petit peu de notre énergie à ta disposition pour te soutenir, et juste te permettre de vivre ton quotidien. Car toi tout seul, tu ne peux pas tout faire. Tu en fais déjà beaucoup ! Tu vis de manière autonome pour aller retrouver tes amis par exemple, tu te débrouille de manière très autonome dans ton travail. Mais tu ne peux pas tout faire.
Ca me touche d’écrire ces lignes, moi qui chaque jour, œuvre pour créer de la place à la coopération … c’est comme si toi, tu ne nous laissais pas le choix et que grâce à toi, nous retrouvions cette joie du lien proche, lorsque nous sommes là les uns pour les autres.
Car toi aussi tu es là pour tes proches : avec des mots, de l’écoute, un cadeau. Tu incarnes cette société de lien et de soutien.
Alors à chaque fois que tu as ce reflexe de t’excuser, nous ressentions tous les trois ce cri à l’intérieur : mais non !!! ne t’excuse surtout pas ! Tu plaisantes ou quoi ?
C’est une telle évidence pour nous de t’apporter ce soutien, le temps d’un week end entre amis, pour nous permettre d’avoir la chance de t’avoir à nos côtés.
Alors à chaque fois que tu t’excuses : ça grince dans mes oreilles… et surtout dans mon cœur !
J’observe autour de moi et je me rends bien compte que la façon de vivre les handicaps par les personnes concernées est totalement différente et ne me semble pas du tout être proportionnelle à la contrainte associée au handicap.
J’ai l’impression qu’elle dépend surtout de son propre regard et d’un choix personnel sur la façon de le vivre. Je parle de choix, mais ce choix n’est pas toujours conscient, et parfois on ne sait pas qu’on peut faire un autre choix.
Et ça dépend je crois d’où la personne regarde.
Je crois Ben que dans ta vie tu as pu expérimenter les deux en fonction des périodes et en fonction de « comment tu te sens » sur le moment.
Soit la personne regarde ce qu’elle ne peut pas faire ou vivre. Et bien sûr qu’il y a de quoi être vraiment triste ou en colère ou trouver ça injuste. Peut importe si c’est vrai ou pas, la réalité c’est que de regarder là, je sais que ça ne te fait que du mal. Car au moment où je prononce ces mots, tu es dans ce fauteuil, et il fait partie de ta vie au quotidien, avec son lot de contrainte.
En même temps il te permet aussi de te déplacer presque partout en autonomie, et je sais que ça c’est très important pour toi ;
Alors en tant qu’amie j’ai à cœur de contribuer à l’autre chemin possible : te permettre de regarder tout ce que tu peux vivre. Ce que tu vis déjà, dans les relations profondes et authentiques que tu as avec tes amis. Et oui, si on est amis avec toi, ce n’est pas juste pour se marrer un bon coup en buvant une bonne bière !
Tu vois, j’ai employé le mot vivre et voici ce qui me vient : il y a effectivement moins de choses que tu peux faire part rapport à la plupart des personnes. Lorsque cela fait appel à une action de ton corps, ton handicap a un impact.
A côté de cela il y a plein de choses que tu peux vivre et que tu vis déjà : et je trouve que ce mot te va très bien car quand je t’imagine avec ton grand sourire, et ton cœur énorme, oui tu sais ce que c’est que vivre et tu sais qu’il peut être d’une beauté extraordinaire, bien au-delà des contraintes physiques que tu vis au quotidien. Alors que tellement de personnes sont prises dans le tourbillon du faire : toujours plus et toujours plus vite que je me demande parfois s’ils ont encore accès à ce mot.
Alors en tant qu’amie j’ai envie d’explorer à tes côtés ce que tu peux vivre. Je crois que c’est ce que l’on a vécu ce week-end (le prochain est déjà prévu). Et il se trouve qu’on a trouvé les Lillois tellement sympas que plutôt que d’aller explorer une nouvelle ville, pour l’instant nous avons choisis d’y retourner. Alors faisons ça. Nous ne sommes pas là pour faire une compet, mais juste pour sentir ce que toi tu as envie de vivre.
Et moi j’ai juste envie d’être à tes côtés à chaque fois que je peux l’être et que cela te soutient dans cette exploration.
J’en profite pour te remercier pour toutes ces bonnes choses que tu nous a fait découvrir à Lille, toi le gourmand que tu es. Avec la chocolaterie du Chat Bleu, les gauffres à la vanille de chez Meert. J’ai tout gouté et je me suis régalée.
Je te l’ai déjà partagé je crois, mais je sens que ces moments que nous passons ensemble apaisent et passent de la pommade sur une blessure que je sens dans mon cœur (même si elle est de moins en moins vive). Une blessure dont j’ai pris conscience il y a peu, qui est celle de me sentir différente.
Alors ça peut peut-être te paraitre bizarre car quand on me voit on ne se dit pas forcément au premier regard que je suis différente, mais aujourd’hui je sais que c’est cette vibration que j’ai reçue, depuis beaucoup d’années, notamment en lien avec cette zèbritude dont je parle dans un autre épisode : je te soupçonne d’ailleurs d’avoir quelques rayures.
Être avec toi me donne une sorte de bol d’oxygène car de fait, notre duo quitte la norme. Tu me diras il s’est écoulé quelques temps depuis les premières fois que j’ai ressenti ça et j’avoue qu’aujourd’hui elle ne veut plus dire grand-chose pour moi cette norme mais je sais que j’ai ressenti cela tout au début, comme un cadeau.
Quel cadeau aussi ce week-end tous les 4 et quelle chance j’ai d’avoir des amis comme vous ! Des amis qui aiment la vie dans sa simplicité, dans la beauté du lien et de ce qui nous entoure, et qui n’ont pas besoin de plus pour la savourer.
Alors je te dis à bientôt pour de nouvelles aventures. Ce message est avant tout pour toi.
J’espère que dans tout ce que j’ai posé comme mot il n’y en a aucun qui t’a blessé ou heurté car j’ai conscience d’aborder un sujet sensible et jamais je ne pourrais savoir ce que tu vis vraiment car il n’y a que toi qui l’expérimente.
Alors avant tout cet audio je l’ai fait pour toi, pour écouter mon cœur qui vibre, là, juste en rentrant de ce week-end à Lille. Et si tu sens que ça fait sens que d’autres personnes que toi puissent l’écouter, et bien je serai ravie de le publier pour mettre à l’honneur cette merveilleuse amitié qui me nourrit si profondément.
Merci pour tout ce que tu es Ben. Merci pour tout ce que tu m’apportes et que tu apportes aux personnes qui croisent ta route