Ma mère est arrivée vers l’âge de 20 ans, à Paris, et elle vient d’un petit village, en Suisse, proche de Zurich. Son regard sur Paris m’a toujours fait sourire puisqu’elle parle de ce contraste incroyable entre le petit village dans lequel chaque fait et geste est commenté, et la vie parisienne avec cet anonymat qui lui a donné un énorme souffle de liberté.
Alors voilà, j’ai un père qui était français, d’origine bretonne et berrichonne, et une maman d’origine Suisse et pendant longtemps j’ai cru que ça ne changeait rien pour moi. Je n’ai pas perçu de différence de culture ou de différence de façon de voir les choses entre la Suisse et la France. Alors quand j’étais en France je n’avais pas l’impression que cette culture Suisse m’avait impactée. Et quand j’étais en Suisse, je croyais que cela ne faisait pas de différence non-plus.
Et pourtant…
Commençons par ce que ça fait d’être française, en Suisse.
Déjà, quand je mets le pied en Suisse, et bien, mon cœur a l’impression d’être chez lui. C’est difficile à décrire, mais je sens bien que chaque voyage en Suisse me permet d’apaiser une part de moi. Comme si la Suisse faisait partie de moi ; Chaque particularité : l’architecture, la couleur des maisons, et même les poignées de porte qui sont différentes. Grâce à tout cela, juste le fait de sentir que je suis en Suisse me fait du bien.
Alors quand j’allais dans ma famille, pour moi c’était comme si j’étais chez moi. Pourtant je sentais bien qu’il y avait des moments ou ce n’était pas fluide, mais je ne comprenais pas bien pourquoi.
C’est le visionnage d’un film qui m’a permis de comprendre ce qui se passait. Le film en question est très particulier 😉 Il s’appelle Bienvenu en Suisse.
Voici la scène : le mari est d’origine Suisse, et la femme, française. Et ils sont attendus à un déjeuner de famille ; le mari est ultra stressé en voyant l’heure qui tourne « on a rendez-vous à midi, il faut qu’on y aille, il faut qu’on aille ! » et sa femme qui répond « non mais ça va, il est midi moins 1 on est quasi prêts et on est sur place : c’est bon on est à l’heure ! »
Ils descendent l’escalier hyper rapidement car le mari insiste, ils poussent la porte et là on entend un grincement avec 20 personnes qui les regardent comme s’ils avaient commis un crime, dans un silence absolu. Puis la caméra se braque sur l’horloge. Ils avaient rendez-vous à midi, et il est … Midi une !
Bien que la mise en scène soit caricaturale, ce jour-là, j’ai compris ; j’ai compris pourquoi à chaque fois que mon tonton que j’adore me disait « je passe te prendre à midi » et que moi royalement j’étais prête à midi 5 ou midi 10, ce qui pour moi était être à l’heure, et bien il y avait une sorte de tension dans l’air que je ne comprenais pas ; (oui, je sais, pour certains de français aussi, 10 minutes c’est beaucoup trop 😊)
Ce jour-là j’ai compris qu’il y avait des différences culturelles, et il y en a certainement plein d’autres qui font que mes attitudes, ou ce que je fais ne sont pas ce qu’attendent les Suisses. Et ça fait bizarre quand dans mon cœur ce sont mes grands-parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins. Sentir que Je n’avais pas tous les codes pour être exactement comme eux, alors que pourtant vus de l’extérieur j’avais vraiment l’impression que nous avions la même vie ;
Je ressens à quel point ce que j’écris ici n’a plus de sens pour moi aujourd’hui, car j’ai lâché cette quête d’être acceptée ou comprise par les personnes autour de moi. Pourtant ces étapes ont fait partie de mon chemin.
Quand j’étais en France, je crois qu’il y avait aussi des petites différences. Par exemple, lors de mon premier boulot qui était d’être manager, une des personnes de mon équipe (qui est un super ami aujourd’hui) m’a dit (c’était l’époque où on se vouvoyait encore dans les équipes. Incroyable ! Pour moi ça me parait d’un autre temps, mais peut-être que pour vous c’est toujours d’actualité) En tous cas il me dit : « dites donc, ça se voit que vous être Suisse vous ! » Cette remarque m’a interpellée et j’ai cherché à comprendre en quoi ça se voyait que j’étais Suisse ;
Je crois que ça se voyait parce que pour moi, une règle était faite pour être respectée ; et qu’en France ce n’est pas forcément le cas… si vous voyez ce que je veux dire 😊
En Suisse, s’il y a une règle, il n’y a pas de question à se poser : culturellement, on la respecte, c’est comme ça ;
Et ce qui est intéressant c’est que ça a un impact sur la nature des règles ; je me souviens d’une question que mon père m’a posée en me disant : s’il faut que tu roules à 90 km pour ta sécurité, est-ce que tu préfères qu’on te mette un panneau limité 70 et que tu puisses gratter jusqu’à 90, ou est-ce que tu préfères qu’on te mette un panneau à 90 km ? Moi j’ai répondu : « je préfère que tu me dises 90. Et pour mon père il me semble que c’était plus confortable de mettre 70 et qu’il ait un peu de marge avant de se faire contrôler ou se mettre en danger.
Et il m’a confirmé qu’en Suisse, de sa vision, s’il y avait un panneau 70 et que tu essayais de prendre un virage à plus de 70 et bien c’était chaud 😉. Donc, j’en déduis que comme les règles sont respectées en Suisse, à priori ils font des règles plus cohérentes ;
Cela a donné quand même parfois lieu à des scènes qui m’ont fait sourire : comme cette fois, à Paris, où un de mes oncles a attendu que le feu passe au vert pour les piétons pour traverser… Alors qu’il était 2h du mat et que la rue était entièrement vide ; je tiens à dire que le reste de la famille a suivi le mouvement parisien et nous a suivi 😉 donc au-delà des cultures, encore et toujours, il y a ce que chacun choisit d’en faire !
Ça a donné lieu pour moi à des expérimentations assez intéressantes qui montrent que respecter les règles, même en France c’est possible. Au passage, je me rends compte avec cette anecdote que depuis toujours, je cherche à sortir de cette posture de manager « tout puissant ».
A mon arrivée, j’avais posé la question à mes équipes : quand je vous demande de faire un truc, pour telle date, parce que moi je dois faire un travail complémentaire juste après : qu’est-ce que je vous donne comme délai ? Parce que moi je ne trouve pas ça juste de prendre une marge de 2 ou 3 jours parce que certains ne vont pas respecter le délai : car du coup la personne sérieuse peut se retrouver à rester tard pour finir ce truc alors qu’en fait elle aurait pu me l’envoyer 2 jours après ; alors ? qu’est-ce que je fais : est-ce que je mets le vrai délai ? et du coup vous vous engagez à le respecter ? Ou est-ce que je me garde une marge ? Et bien ils ont choisis de respecter le délai et globalement ça c’est plutôt bien passé 😊
En agissant comme cela je n’avais pas conscience que j’amenais un peu de culture Suisse…et peut-être aussi un peu de nouvelle posture managériale 😊
Pourquoi je ressens le besoin de partager sur ce sujet de vivre mes origines Suisse ?
Parce que je me dis que si, alors que deux pays sont limitrophes, j’ai ressenti l’enjeu de me sentir à ma place et bien j’imagine que pour les personnes qui viennent de plus loin, l’enjeu est encore plus fort ; et ce sujet est encore différent lorsque les origines se voient ;
J’avais envie d’apporter mon témoignage car j’ai l’impression d’avoir vécu cela à toute petite échelle : ce que ça fait d’être perçu comme différent alors que dans mon cœur je ne le ressens pas comme cela, que ce soit dans le pays dans lequel je suis née ou dans le pays qui a une place importante dans mon cœur.
C’est étrange pour moi de raconter cela car cela parle beaucoup du besoin d’appartenance au clan et au groupe qui était très fort auparavant et qui se traduisait par des traditions voir une identité commune : or aujourd’hui j’ai l’impression qu’il est temps de vivre autre chose ensemble et que chacun puisse venir avec ce qu’il est tout en respectant les autres, et être accueilli comme cela.